Pierre Develay
L'aviation compte deux sortes de pilotes :
ceux qu'on paye très cher pour piloter, et ceux qui payent très cher pour pouvoir le faire.
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Pour les amateurs du genre : huit histoires d'avions véridiques, dont sept vécues personnellement
Lâcher
Aussi loin que remontent mes souvenirs, j'y retrouve la passion des avions. Tout petit, je me revois faisant « voler » un minuscule objet en plastique moulé de couleur orange, représentant un Nord-Atlas ou quelque chose d'approchant. Quand je suis dehors, je fais souvent la course avec les avions de ligne dont la progression des traînées de condensation me semble tellement lente. Si c'est un chasseur qui traverse le ciel, j'imite ma sœur en me baissant, pour éviter qu'il m'arrache la tête en passant…
Beaucoup plus tard, il y a le premier planeur construit en balsa (ceux en planches de sapin volaient tellement mal !). Fierté d'avoir mené ce travail à bien et fascination de voir ce « plus lourd que l'air » glisser majestueusement, par un « miracle » dont je n'ai pas encore l'explication. Le stade supérieur eût été un modèle réduit motorisé que le budget familial inviolable reléguait aux rêves.
C'est vers quinze ans que je peux me rendre régulièrement à l'aéroclub distant de 25 kilomètres, grâce à ma Mobylette. Il ne s'agit plus de maquettes mais des plus belles machines que j'ai jamais vues de près, capables de vous souffler furieusement alors que vous êtes sur la barrière du parking et que l'avion s'achemine docilement vers le taxiway. Les baptêmes suivront, l'un après l'autre, années après années, insinuant le désir grandissant d'être assis en place gauche, celle du pilote !
À chaque vol, je mémorise des positions d'instruments ou de manettes que je reproduis sur un tableau de bord en carton. L'imagination fait le reste et… je vole !
À vingt et un ans, l'armée a fini de m'exploiter et mes premiers salaires apparaissent. J'ai les moyens de concrétiser mon rêve mais, pourtant, j'hésite à pousser la porte de l'aéro-club. Il faut dire que les nombreux « Joe-la-Frime » qui la franchissent pour moi me font douter de pouvoir faire partie de la « bande ». Finalement, une ancienne instructrice de l'aéro-club devenue pilote de ligne et connaissant mon désir profond va m'introduire dans le milieu « magique » et me présenter à l'instructeur du moment. Aussitôt, l'homme feint l'étonnement :
« Vous voulez piloter ? Mais vous êtes fou ! Vous possédez une assurance vie ?… »
C'est de l'humour, façon militaire… Son ancien métier… Dans la minute qui suit, je suis inscrit pour un premier vol, dès le dimanche suivant !
Me voici au pied du coucou qui va m'initier aux joies du pilotage. L'engin est le plus petit et le moins beau de tous avec ses couleurs pâles et fanées. Il n'a que deux roues, même pas carénées, plus une roulette de queue qui donne un air bizarre à l'ensemble avec son nez en l'air, et il possède une verrière minuscule… Il s'agit d'un Jodel D112 construit par des membres du club. L'avion est plus âgé que moi ! C'est un petit désarroi… Les vols d'initiation se faisaient toujours avec de superbes machines, façon limousines aux tableaux de bord de Boeing. Et me voilà devant une 2CV !… Mon instructeur m'apprend que, sous ses côtés rustiques, cet avion bizarre réclame un pilotage particulièrement fin :
« Qui peut le plus peut le moins. Quand tu sauras piloter ça, tu pourras voler sur n'importe quelle machine du club ! L'inverse n'est pas vrai… ».
S'il le dit ?…
Après tout, l'essentiel est que ça vole. Explications sur la prévol où on fait le tour de l'avion en examinant une foule de détail avant chaque départ (« c'est pas en l'air qu'il faut se poser des questions sur l'avion ! »), vérification visuelle du niveau d'huile et me voilà installé dans un siège et un habitacle qui ressemble vraiment à celui d'une Deuche des années 60. L'instrumentation est réduite au strict minimum et on en a vite fait le tour (voir photo plus bas)…
« Tu te mets le manche au ventre et tu ne le bouges plus sous aucun prétexte. Tu passes les magnétos sur "deux" et tu ouvres deux millimètres de gaz ».
Le bougre se place face à l'hélice, l'empoigne et la lance à toute volée. Miracle ! Ça démarre ! Il s'engouffre dans l'avion avec le vent d'enfer, retire les cales de roues en tirant sur la corde qui les relient et referme la verrière. Il prend les commandes et nous roulons jusqu'à la piste. Check-list et examen visuel du trafic aérien (la radio n'existait pas sur ce coucou…). Il aligne l'avion sur la grande bande de goudron noir et accélère lentement jusqu'à la butée. Ça va de plus en plus vite, la queue se lève et nous voilà à l'horizontale. Décollage et, presque aussitôt :
« Tu sais où aller ? Alors vas-y ! »
Je prends le manche et ça y est : JE « pilote » et je n'en reviens pas comme c'est facile. Direction la maison puis retour à la verticale de l'aéro-club. Une demi-heure en tout de plaisir absolu où cette machine m'a obéi docilement pour virer de droite et de gauche. Le moniteur reprend les commandes et nous embarque aussitôt dans une série de figures serrées où s'empilent les G. Il me teste, c'est sûr et je ne vais surtout pas broncher…
Puis devant un café :
« Alors, ça t'a plu ?... »
Tu parles ! Me voici alors avec la liste des médecins agréés par la Fédération Nationale Aéronautique, celle des pièces à fournir pour prétendre au titre de « Élève pilote », plus celle des bouquins à acheter et à potasser en vue des examens.
Je suis bientôt reconnu apte par la Science et me retrouve rapidement à ma deuxième leçon. Ça se complique d'un coup ! C'est à moi de guider l'avion jusqu'au bout de la piste d'envol et cet engin refuse absolument de rouler droit. Nous avançons au pas, et je tiens toute la largeur de la piste qui fait tout de même trente mètres… C'est infernal ! Dès que je corrige la trajectoire aux palonniers, l'avion embarque aussitôt et furieusement de l'autre côté. Quelque chose s'est cassé depuis le premier vol ? Le moniteur me le dirait, tout de même ! Mais non. Il ne bronche pas… Je songe alors qu'être en l'air doit représenter 1% de l'art du pilotage et, le roulage, 99%. J'ai juste oublié de quantifier l'atterrissage… Mais bon, après neuf cents mètres interminables, nous voilà à l'autre bout de la piste.
« Tu gardes les pieds sur les palonniers et la main droite sur le manche. Tu accompagnes mes gestes en mettant lentement les gaz à fond avec la main gauche et tu tiens bien la manette des gaz ! »
Incroyable ! Avec lui, l'avion roule à nouveau droit !… Nous décollons et les « ennuis » vont commencer… Et se répéter plusieurs dimanches :
« Monte bien droit !…
— Respecte la vitesse de montée !…
— La bille est de travers, corrige aux pieds !…
— Surveille ton taux de montée !…
— Garde le cap !…
— Et arrête de regarder tes instruments, c'est dehors que ça se passe !… »
Et, plus tard, l'enchaînement « à plus soif » des tours de pistes avec la voix rauque qui n'arrête pas :
« Prends l'assiette cabrée !…
— Prends l'assiette piquée !…
— Ta vitesse !…
— Accélère !…
— Ça va trop vite !…
— Ton cap !…
— T'es trop haut !…
— T'es trop bas !…
— J't'ai pas dit de monter ou de descendre, mais d'aller à l'horizontale !…
— La bille, nom de Dieu !… »
Les leçons durent une demi-heure. À chaque fois qu'elles se terminent, je suis vidé et ma chemise est à tordre. Il faut en vouloir, mais j'en veux !
Puis, comme par magie, en quelques heures, l'avion se met à accepter de rouler droit, de décoller monter et virer dans les règles de l’art du bout des doigts, sans que j'aie besoin de ma poigne de fer ni des corps à corps furieux de mes débuts. L'homme est peu bavard sur mes prestations et remplit régulièrement mon dossier sans que je voie ce qu'il y met… Je lui demande si ça va…
« Tant que je ne gueule pas, c'est que ça va ! »
Donc, ça doit aller… Restent les atterrissages qui sont mes bêtes noires. Le sol se précipite sur moi et fuit systématiquement dès que je veux redresser ! Je suis fâché avec le principe des tangentes. L'homme rattrape le coup à chaque fois, mais sans trop en faire et les suspensions cognent toujours comme des coups de masse, alors que je nous vois déjà désintégrés... (P… que c'est solide, un avion !) En plus, dès qu'il est par terre, l'oiseau est irrésistiblement attiré par les bas côtés de la piste et il faut le tenir aux pieds avec une attention extrême. La technique du freinage n'est pas triste non plus : comme les freins sont en bout de course des palonniers, il faut emmancher de grands coups de godasses à droite et à gauche, suffisamment violents pour atteindre les freins, mais pas trop pour ne pas passer sur le nez, puis inverser les coups très rapidement pour ne pas que l'avion embarque du côté freiné ! Du grand art… C'est vrai qu'avec cette initiation, les beaux coucous que j'utiliserai plus tard, tricycles et munis de toute la technologie moderne, m'apparaîtront plus fades. Ces avions se conduisent. Le D112, il se pilote ! Mais je n'en suis pas encore à établir des comparaisons…
J'ai sept heures de vol et mes atterrissages me semblent toujours aussi catastrophiques. À la fin de ma leçon, le moniteur remet les gaz, vire au raz des pâquerettes et me replace rapidement en position d'atterrissage.
« Vas-y ! »
Et boum !… Remise rapide en position et « Vas-y ! »… Et boum, trois fois de suite… Je commence à fatiguer et douter d'y arriver un jour… L'homme est renfrogné… Fin de leçon et roulage de retour. Au bout de la piste, l' homme freine et bloque l'appareil. Il se détache, ouvre la verrière, saute de son siège comme un diable et grimpe sur l'aile en me lançant :
« Vas-y tout seul ! »
Je suis effaré et proteste vigoureusement :
« Mais enfin, ça ne va pas ? J'en suis incapable ! »
Mais rien à faire…
« Vas-y, je te dis ! On est des hommes, nom de Dieu ! Pas des… Hein ?... »
Alors, je n'ai plus qu'à y aller… Je regarde l'homme qui marche rapidement le long du taxiway et regagne le clubhouse sans un regard en arrière. Je suis dans un état indescriptible de trouille insondable mêlée à une joie diffuse. S'il me lâche, c'est que j'en suis capable ? Alors zou ! Demi-tour et c'est parti. Alignement pile poil, accélération progressive, manche au neutre et maintien ferme de l'axe… L'avion passe sur deux roues…. Je le tiens bien et roule de plus en plus vite, les yeux rivés sur le bout de piste et l'anémomètre. Je ne peux m'empêcher de mater le siège droit, étrangement vide… De toute façon, il serait trop tard pour s'arrêter et je n'en ai nulle envie. La bonne vitesse est atteinte. Je tire doucement. L'avion grimpe comme un obus ! Je découvre que soixante-dix kilos de moins, ça compte avec soixante chevaux seulement… Et me voilà rapidement en branche vent arrière. Je suis le seul maître à bord et le plus heureux des terriens ! Je vire en étape de base puis en finale. Je m'applique comme un bon élève et, incroyable, je fais le plus beau des atterrissages ! Retour sage au parking avec un palpitant à cent trente.
Ce matin-là, le roi n'est pas mon cousin…
Le fameux "D112" F-PIIM sur lequel j'ai effectué mon lâcher et mes débuts (90 Fr de l'heure devenus 85 € en 2015...).
On notera la rusticité du tableau de bord, avec une batterie et une radio installées bien après l'époque du récit.
Brevet
Le brevet théorique fut une formalité. Il suffisait de bosser les bouquins, d’apprendre, retenir, et le tour était joué le jour de l'examen. Mais l’examen pratique peut révéler des surprises ou rencontrer nombres d’aléas…
Néanmoins, mon instructeur m’a déclaré suffisamment formé et prêt pour passer l’examen en vol.
J’arrive à l’aéroclub en serrant un peu les fesses. L’examinateur (pilote Air-France et instructeur pilotes-privés) me salue avec un sourire poli, sans plus. Je n’ai jamais volé avec lui et ne le connais que de vue, l’ayant toujours jugé du genre frigorifique…
Il me donne l’itinéraire du voyage à préparer : une navigation vers Annecy. Nous emprunterons le « Roméo Zoulou », un D.R. 400 de cent-quarante chevaux assez rapide et bien équipé en radio-navigation (VHF, ADF, VOR et transpondeur).
Sur une table du bar, je prépare la « nav » que l'examinateur vient de m'imposer. Je trace notre route sur une carte aéronautique et sur une autre de radionavigation, mesure les caps, choisis plusieurs repères de survol, calcule les temps estimés entre chaque et note les fréquences de toutes les tours de contrôles ou zones à pénétrations réglementées que je devrai contacter, plus celles des VOR et ADF utiles. Je choisis les altitudes les meilleures et repère celles qui sont imposées, j’effectue le calcul de consommation puis de centrage des masses et, quand j’estime que tout est prêt, je prends la météo au téléphone pour ce vol avant de présenter ma préparation à l’examinateur. Il l’étudie et la juge correcte, me demande si j’ai lu le manuel de vol de l’avion (c’est obligatoire) puis me pose quelques questions sur l’avion pour lesquelles j’ai les réponses.
Ouf ! Deux bons points…
Nous sortons du clubhouse, je fais le plein de l’avion puis une visite pré-vol sérieuse, surveillé de près par l’examinateur. Il ne dit rien…
Nous nous installons dans l’avion, j’attaque la check-list et le démarrage du moteur, puis je teste les magnétos. Quand j’ai terminé, je jette un coup d’œil à mon « passager » qui m’invite à rouler. J’informe par radio de la moindre de mes manœuvres et me voilà bientôt en train de remonter la piste puisque le vent a décidé de souffler principalement vers l’est ce jour-là.
Et c’est là que j’essuie la première remarque…
Comme l’avion et son tableau de bord vibrent terriblement avec le moteur au ralenti (au point de rendre impossible la lecture de la moindre information sur un instrument) et qu’il faut rouler au pas, j’ai pris l’habitude de mettre suffisamment de gaz pour que les vibrations cessent, tout en freinant légèrement pour ne pas rouler plus vite que la norme.
« Pourquoi mettez-vous des gaz et freinez-vous en même temps ?
— Pour éviter les vibrations de la cellule qui peuvent abimer l’instrumentation ?
— Non. C’est n’importe quoi. Ne freinez pas et roulez moteur réduit. »
J’accède à la requête, même si elle heurte profondément mes convictions mécaniques. Ce n’est pas le jour pour être contrariant…
Arrivés sur la raquette de fin de piste, je fais demi-tour, sors un cran de volet, j’enclenche le réchauffeur du carburateur et la pompe électrique de carburant, vérifie visuellement le trafic aérien en cours puis annonce nos alignement et décollage par radio.
Tout se passe au mieux. Nous décollons et je prends mon cap vers Annecy. Pendant la montée, je règle l’ADF sur la balise de Mâcon et une question arrive immédiatement :
« Pourquoi prendre l’ADF de Mâcon puisque nous ne passerons pas au-dessus ? »
Je m’attends à me faire à nouveau rabrouer, mais j’explique :
« Nous ne passerons pas au-dessus du terrain de Mâcon, mais à quelques kilomètres seulement et l’ADF nous confirmera la bonne route suivie…
— C’est une bonne initiative… »
Ouf ! Mais je me réjouis trop vite car dès que l’avion est arrivé à la bonne altitude :
« Il y a une odeur de brûlé dans l’avion et donc un début d’incendie quelque part. Que faites-vous ? »
Même si ce n’est qu’une question test, je n’ai jamais abordé le sujet avec un instructeur. Si je sais quoi faire avec un feu moteur, ce n’est pas le cas pour un autre type d’incendie aux origines inconnues. J’avoue donc que je n'en sais rien et propose seulement un atterrissage en catastrophe, renonçant à me risquer à raconter n’importe quoi…
J’ai alors droit à un petit cours qui va se graver dans ma tête, au point de le resservir dans une de mes nouvelles (« Volvie Airport » dans le recueil "On est tous des clowns").
Même si les explications se sont faites sur un ton neutre, je sais que mon ignorance n’est pas un bon point pour l’examen…
Néanmoins, je continue mon vol et ma navigation avec le maximum d’attention et de concentration. Alors que je suis en train de vérifier le survol d’un point de repère, l’avion se met brutalement à ralentir comme si les gaz avaient été réduits au minimum. Je vérifie l’accélérateur qui est en bonne position, balaie rapidement des yeux l'ensemble de l’instrumentation et remarque vite que le robinet d’essence, situé entre les deux sièges, est passé en position fermée. Je vais pour le rouvrir quand la main de l’examinateur m'arrête et qu'il m'annonce :
« Non ! Nous sommes "en panne" et devons nous poser. »
Punaise ! Je passe en descente pour conserver une vitesse correcte en l'absence du moteur. Vite, je sais que j'ai quelques secondes seulement pour repérer le sens du vent avec l’ombre mobile des nuages, choisir un pré suffisamment long, sans ornière apparente ni obstacle à l’entrée et décider par quel côté l'aborder. Ensuite, je devrai m’y tenir sans plus jamais changer d’avis. Là, je connais le process par cœur et ne me suis jamais loupé aux entraînements. Pourvu qu’aujourd’hui !... Je m’éloigne du pré choisi en planant, dans l'unique but de me retrouver à la bonne altitude, dans le sens inverse du vent et à la bonne vitesse au moment de passer le seuil du pré. Arriver trop court est très mauvais puisque l’on s’est « crashé ». Arriver trop vite n'est pas mieux car on a vite fait « d'effacer » le terrain prévu pour nous accueillir. Outre la bonne vitesse à posséder en courte finale, une des principales difficultés est de ne jamais perdre de vue le terrain choisi, alors qu’on effectue l’éloignement et les virages nécessaires. Qu'est-ce qui ressemble plus à un pré qu'un autre pré vu d'en haut ?... Mais tout se passe bien et me voilà en courte finale à la bonne vitesse, avec les barbelés du pré à cent mètres devant et trente mètres plus bas. Lors de mes entraînements, c’est le moment où mes instructeurs remettaient les gaz, estimant que l’atterrissage était gagné. Mais là, rien !... Je passe à quelques mètres au-dessus de la clôture et me dis que je vais devoir aller au bout et poser l’avion… Le sol est désormais proche et je commence à arrondir juste au moment où le moteur se met brusquement à rugir. Le « plaisantin » a rouvert le robinet d'essence. Nous pouvons remonter et je reprends le bon cap.
Bientôt, nous avons passé Nantua et survolons les montagnes quand l'avion se met à vibrer et le moteur à ratatouiller, alors que l’examinateur n’a rien tripoté (désormais, je le surveille !). Je pense immédiatement à un givrage du carburateur et enclenche son réchauffeur. En quelques secondes, le moteur a retrouvé son ronron régulier. Je repousse la commande. Ouf et sûrement un bon-point supplémentaire pour avoir aussitôt et bien réagi !
Mais à peine après m’être remis de mes émotions :
« Le temps est bouché devant. Il faut nous dérouter sur Bourg. »
Malgré le beau ciel bleu de la réalité, je dois faire comme si... Vite, recherche de l'emplacement de Bourg sur la carte et virage vers un cap estimé au pifomètre. Puis, sortie du crayon pour tracer la route à la règle, récupération du rapporteur pour mesurer le vrai cap et corriger la trajectoire, consultation des éventuelles zones à pénétrer et de leurs réglementations avec contacts radio spécifiques, tout cela en pilotant, bien sur.
J’ai chaud !…
Au même moment, nous survolons un petit terrain, sans doute privé. L’accélérateur est brusquement tiré en position arrière et…
« Nous sommes de nouveau en panne… »
Cette fois, c’est plus facile. Un vrai aérodrome est en dessous et je réussis à nouveau mon approche planée. Remise de gaz en courte finale et direction Bourg où je pose l'avion sans autre « incident ».
L’examinateur me propose d’aller prendre un café au club-house et j’accepte volontiers. Je commence à être vidé et ça doit se voir d’après le petit sourire un peu goguenard de mon « passager » qui me les a toutes faites... ou presque.
Un quart d’heure plus tard, nous redécollons et je prends le cap de notre terrain d’origine quand une question tombe.
« Avec quel moyen vous rentrez ?
— Avec ma carte et ma montre… » (Les deux "outils" de base indispensables pour une navigation qui possèdent aussi l'énorme avantage de très rarement tomber en panne.)
L’homme saisit alors la carte qui est déployée sur mes genoux et l'envoie sur les sièges arrière.
« Nous n’avons plus de cartes. Comment rentrons-nous ? »
J’affiche la bonne fréquence de l’ADF et annonce :
« On recherche la balise ADF de notre terrain de destination qui nous guidera, dès que nous atteindrons son rayon d'émission. »
L’examinateur coupe l’instrument et précise :
« On n’a plus de carte ni d’ADF. Que fait-on ?
— On fait la même chose avec le VOR Alpha Tango Novembre. » (situé à vingt kilomètres du terrain)
Alors que je commence seulement à régler l’instrument sur la bonne fréquence :
« Le VOR est aussi en panne. On fait comment ? »
Que faire sans aucun support ?... Je propose, dépité :
« On rentre au pif ?… »
Un vrai sourire s’affiche enfin sur le visage du pilote de ligne.
« Exactement, et on y va ! »
Je ne peux que tenir attentivement mon cap en souhaitant qu’il n’y ait pas trop de vent pour nous dérouter. Après un temps que je vais trouver très long, j’aperçois, au loin, le panache de fumée de la centrale thermique de la ville. Sauvé !
Nous nous posons et regagnons le parking. Je clos le trafic radio, étouffe le moteur, éteins tout, sors les volets et attend anxieusement ce qui va suivre. Enfin, j’entends :
« Pour moi, c’est bon. Vous êtes un pilote standard. »
Je souffle et pose naturellement la question de la définition…
« Un pilote standard est un bon pilote qui effectue son vol de façon standard, c'est-à-dire sans erreur ni prouesse exceptionnelle. C’est ainsi que nous nous efforçons de voler en ligne quand nous sommes examinés. Car si nous avons un pilotage exceptionnel une fois, puis standard la fois suivante, on notera sur notre dossier que nous avons régressé… »
J’en sais un peu plus sur les us des pilotes de lignes. Mais l’important, c’est bien le précieux document provisoire de Pilote Privé qui m’est remis quelques minutes plus tard !
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Pour information, mon examinateur-pilote-de-ligne est montcellien. Il arrêta très tôt ses études pour subvenir aux besoins familiaux et travailla comme mineur de fond à ses débuts. Passionné d'avion, il travaillera d'arrache pied pour monter en qualifications, passera son bac scientifique par correspondance, ira à l'ENAC et finira par accomplir son rêve. Cas unique en France, à ma connaissance...
À ce titre, il a reçu le "Prix de la Vocation", remis par le président Giscard d'Estaing. Bravo Gérard !
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Le Roméo Zoulou de mon brevet était un avion identique sauf qu'il était de couleur verte.
Le tableau de bord affiché correspond exactement à celui de l'époque.
Depuis, il a naturellement évolué et s'est partiellement numérisé, avec les techniques modernes.
Baptêmes de jeunes filles
C’est l’été. J’ai plus de deux cents heures de vol sur mon carnet, plus de trente heures dans les six derniers mois et remplis donc les conditions des assureurs de l’époque pour effectuer des vols d’initiations payants (appelés de façon erronée « baptêmes de l’air ») auprès des visiteurs de l'aéroclub qui le souhaitent (un pilote privé avion peut emmener des passagers dès qu'il est breveté, mais à titre personnel et gracieux seulement).
Ne reste à effectuer qu’un examen en vol avec un instructeur, pour vérifier mon aptitude. Après quelques manœuvres aériennes plus ou moins « pointues », je suis reconnu apte. Revenu au sol, je repars m'activer dans un des hangars de l’aéroclub.
Cinq minutes plus tard, deux jeunes filles de vingt ans environ pénètrent dans le clubhouse et demandent à effectuer un baptême.
Le chef-pilote vient me voir et me demande :
« Il y a deux clientes pour un baptême. Tu veux le faire ? »
J’accepte volontiers et vais récupérer mes postulantes qui se regardent alors, perplexes. J’ai vingt-cinq ans, fais moins que mon âge, et elles s’attendaient sans doute à voir débarquer un vétéran au cuir bien tanné, avec des Ray-Ban sur le nez, quand le chef-pilote leur a annoncé qu'il allait leur chercher un pilote pour les emmener…
Néanmoins, elles me suivent. Je les installe à bord, ferme la verrière, démarre le moteur puis commence à rouler en direction du taxiway quand une des deux filles n’y tient plus. Elle me demande, vraiment soupçonneuse :
« Mais dites, il y a longtemps que vous faites ça ? »
Je retrousse négligemment ma manche de chemise, regarde ma montre puis annonce d'un ton neutre :
« Environ dix minutes… » (je suis assez franc de nature.)
Si elles avaient alors su comment ouvrir la verrière, elles auraient probablement battu le record du cent mètres !
Mais tout se passera bien ensuite, et elles repartiront heureuses une demi-heure plus tard, de beaux souvenirs en tête.
La faucheuse vue de près...
Ça fait cinq ans depuis 1983 !...
Cinq ans que je passe tous mes week-end et congés à travailler sur cette folie douce, d'abord à trois cent cinquante kilomètres de chez-moi, puis à cent vingt et enfin, à cinquante.
Tout ce travail fut commencé assez jeune, alors que c'est justement la période de l'existence où les priorités de vie évoluent rapidement. Mais bon… J'étais lancé et j'allais aller au bout de l'aventure.
Cette fameuse aventure consistait à construire un "Cri-Cri MC 15", petit avion bi-moteur de voltige métallique monoplace, étudié et proposé en liasse de plans par un ingénieur de la S.N.I.A.S.
L'avion est un bi-moteur léger (75kg à vide) se repliant en quelques minutes dans une remorque. Il est particulièrement étudié et équipé de deux moteurs capables de le faire évoluer à une vitesse de près de 200 Km/h en croisière en consommant seulement 5l/100 Kms. La bête passe toute la voltige élémentaire et possède le même taux de roulis que le Mirage 2000. Une référence… et le rêve pour tout pilote qui n'a pas trop les moyens financiers qui vont de pair avec sa passion…
Le créateur de l'avion, Michel Colomban n'était que bachelier... Entré à la S.N.I.A.S, il fut rapidement remarqué et gravit les échelons jusqu'à devenir un des ingénieurs responsables de l'aérodynamisme des avions français… L'homme " au bob " (toujours vissé sur la tête quand il déambule lors des rassemblements de constructeurs amateurs) était déconcertant. Si, lors d'un repas en commun, vous lui posiez une question sur la possibilité de modifier telle cote ou telle pièce, il sortait son crayon et, en quelques secondes, la nappe en papier était recouverte de dessins et d'équations à rallonges avant que le verdict ne tombe : " Oui, vous pouvez y aller " ou " Non ! Ça va casser à cet endroit là ! ". Entre temps, il y avait de nombreux " Vous me suivez ? " polis. Nous acquiescions pour ne pas paraître trop nuls mais étions largués dès le début… L'homme de génie avait conservé une gentillesse et une simplicité exceptionnelles. Son épouse, qui l'accompagnait partout, n'était pas en reste.
Anecdote amusante, Michel Colomban ne pilote pas. Le moindre comportement de l'avion avait été calculé (à telle vitesse, dans telle configuration, il se passera ceci ou cela) sur le papier. Quand le prototype fut terminé et testé par un pilote d'essai chevronné, les mesures effectuées confirmèrent la justesse exacte de l'ensemble des calculs et prévisions, dans toutes les situations. Tout simplement hallucinant !...
Seul "hic" à l'aventure pour moi : 2.000h de travail à la clé, des tolérances jusqu'au 1/100ème de mm ou de quelques dixièmes de degrés sur le vrillage des ailes, plus environ 70.000 Frs de l'époque à sortir pour acheter les matériaux qui se résumaient à des tôles et des profilés (les kits étaient alors interdits), histoire de planter le décor… Mais quand on est célibataire et passionné, on ne compte pas.
Heureusement, nous nous mîmes à trois pour construire… trois avions. Jean, le plus âgé était basé à Dôle et avait déjà fabriqué plusieurs avions bois et toile. Il était l'ami de Jean Delmontez, cofondateur de la marque Jodel (Joly, l'industriel et Delmontez, l'ingénieur qui devint le gendre de son patron). Une pointure, donc, l'ami Jean !... Mais qui travaillait à cent kilomètres de nous. Daniel, l'ami montcellien, était capable de faire voler n'importe quoi pourvu qu'il y ait une aile et un moteur. Aussi à l'aise à 200 Km/h sur une moto que sur un fer à repasser volant, manuel génial, il vous construirait une montre suisse avec un tracteur russe ! Sous ses mains, de nombreuses machines-outils performantes naquirent des bennes à métaux que des industriels, membres de l'aéroclub, nous permettaient d'aller fouiller. Daniel était donc une deuxième pointure à côté du petit "Mickey" que j'étais !...
L'avantage de construire à plusieurs résidait dans la fabrication de gabarits pour toutes les pièces que nous réalisions en série à l'atelier de l'aéroclub ou au lycée professionnel de la ville avec la complicité aveugle du conducteur des travaux, les samedis matins. D'autre part, les découragements n'étaient jamais synchrones entre Daniel et moi, ce qui permettait de se remonter mutuellement le moral les jours de raz le bol où tout allait de travers ou était à refaire.
Bref, un projet de fous pour trois marteaux…
Comme s'il fallait en rajouter, lorsqu'une plieuse, un tour ou une fraiseuse étaient réglés, on fabriquait facilement trente pièces de plus qu'il nous en fallait avec toutes les chutes de Dural récupérées chez Robin (constructeur industriel d'avions à Darois) qui nous autorisait aussi gentiment à faire ses poubelles (peut-être parce que toute la flotte de notre aéroclub était entretenue chez lui). De temps en temps, des réunions dînatoires rassemblaient en région parisienne tous les constructeurs de Cri-Cri, auprès de Michel Colomban. À ces occasions, nous "vendions" nos pièces en surplus au prix du métal ce qui fait que nous étions dévalisés en quelques secondes. Accessoirement, cette rapidité nous permettait aussi de ne pas rester longtemps écrabouillés entre les cartons et les constructeurs affolés par cette manne… Nous avions aussi créé un petit journal de liaison entre les constructeurs pour échanger trucs et astuces. Nos articles étaient vérifiés et parfois censurés par M. Colomban avant éditions. Rapidement, nous eûmes une centaine d'abonnés à qui nous ne réclamions que le prix des timbres. Un vrai délire...
L'ambiance fraternelle qui régnait à l'aéroclub était aussi assez extraordinaire. Nous avions constitué notre petit groupe qui n'était pas triste… (Daniel et son épouse, le gérant du bar, le chef pilote : pilote de ligne Air France en attente de poste, un agriculteur, un expert-comptable et un architecte, pilotes privés et passionnés d'avions). Tout était prétexte à virées à droite ou à gauche, à tournées de cafés ou à barbecues improvisés en fin de journée. Il n'y avait aucune barrière sociale entre nous et je garde un souvenir très nostalgique de cette époque.
J'étais, de loin, le plus jeune de la bande des trois constructeurs. Lorsque le projet fut achevé à 80%, Jean, le plus âgé, en eut marre de nous voir nous disperser un peu trop à son goût et de voir donc "traîner" les choses.
Il fut donc décidé de finir d'abord son avion, ce qui alla relativement vite. Il vola un peu avec et le vendit pour passer aussitôt à au autre projet de construction… Daniel et moi décidâmes ensuite de finir le sien. J'étais le moins disponible de l'équipe et il était bien normal que je passe en dernier. J'emportais, dans mon petit studio, des tôles de dural sur lesquelles je passais mes soirées et une partie de mes nuits à tracer les pièces à scier et à usiner au prochain week-end…
Daniel put bientôt se régaler sur son propre avion qui tenait toutes ses promesses. Ce petit bijou, entre ses mains expertes, exécutait toutes les figures acrobatiques autorisées par l'ingénieur. Il peaufina sans arrêt "la bête" et fit profiter de ses trouvailles à tous les autres constructeurs, avant de vendre son avion à son tour. Il n'était pas fortuné et s'était vu proposer une offre très alléchante.
Et vint enfin le jour où MON avion fut terminé, Magnifique oiseau blanc aux couleurs d'Air France comme celui de Daniel (on ne se refuse rien quand on est fou…). De nombreuses bricoles restaient à régler et les petits problèmes étaient solutionnés les uns après les autres avec l'aide précieuse de mon ami. Mon Cri-Cri avait passé, avec succès, toutes les vérifications du bureau Véritas, seul agréé pour l'aéronautique et j'avais le feu-vert de ces gens pointilleux.
Je subissais aussi la pression constante des copains qui me demandaient sans cesse :
" Alors ? Toujours pas essayé cet avion ? Quand est ce que tu de décides ?... "
Il faut dire que tout constructeur d'avion se doit de "dépuceler" lui-même sa machine, à l'image de certaines sociétés où le mari se doit de passer le premier sous peine d'être déshonoré à vie… Daniel aurait accepté sans sourciller de remplir mon office, connaissant mon appréhension face à tout ce qui est nouveau. Mais je voulais faire comme tout le monde.
J'avais effectué plusieurs roulages jusqu'à 90 km/h où tout se passait bien, sauf avec le Badin (anémomètre qui donne la vitesse relative de l'avion) qui avait toujours du mal à revenir à zéro. Il ne restait plus que le souci anecdotique de cet instrument et, un beau dimanche matin, après plusieurs roulages et fatigué des rengaines amicales, je décide de me lancer…
Je vérifie tout, démarre les moteurs et m'installe dans l'avion. Au roulage, tout va bien à part le Badin qui fait comme d'habitude : progression vers 70 km/h en remontant la piste, puis qui redescend tout doucement à zéro alors que j'arrive au bout de la ligne droite et que je fais demi-tour. Je décolle en 27 (piste en direction de l'azimut 270) car il y a peu de vent de nord-ouest. Je m'aligne sur l'axe de la piste, je sors un cran de volet, revérifie tout ce qu'il y a à revérifier et j'enfonce à fond les deux accélérateurs.
Aussitôt, je me retrouve collé au dossier du siège par l'accélération hallucinante du tagazou, dans un bruit infernal d'essaim de guêpes. Je suis à plus de 100 km/h en quelques secondes, je tire doucement et ça grimpe comme une fusée. Le temps de dire "ouf" et je suis à 300 m du sol. Je redresse, ralentit et me rajuste sur mon siège. Je rentre les volets puis jette un coup d'œil au Badin… qui revient lentement à zéro ! Et m… !!! Je ne sais donc pas à quelle vitesse je vole, ce qui n'est pas gravissime en soi pour le moment. Par contre, au moment de l'approche, je me dis que ça ne va pas être coton.
Heureusement, je ne sais pas encore tout !...
L'exercice d'approche et de posé, avec une panne d'anémomètre, est pratiqué en apprentissage avant de passer le brevet. L'instructeur place alors un cache sur l'instrument afin que le pilote sache apprécier la vitesse de l'avion visuellement, pour le jour où...
Mais cette fois, je me retrouve seul, dans un avion totalement inconnu où les sensations et réactions n'ont rien à voir avec tout ce que j'ai piloté, toujours en double commande (c'est la règle) avant d'être lâché car chaque machine a sa propre façon de réagir et il est vivement recommandé de ne pas se louper avec les petits bijoux de l'aéroclub qui valent des fortunes.
Je "tâte" l'avion aux ailerons… Purée qu'il est nerveux ! Inertie proche de zéro… La comparaison avec le Mirage me revient en mémoire... Je me dis que ça va bien comme ça et qu'il est d'abord urgent de me poser pour voir ce qui cloche avec le Badin.
Je parcours la branche vent arrière à grande vitesse, je réduis progressivement, passe en étape de base puis en finale. Je sors un cran de volet et me cale bien dans l'axe. Je descends doucement en visant l'entrée de piste avec une vitesse estimée à 120 Km/h… Les copains sont tous au bord et au bout de la piste, à me regarder arriver. Je les distingue de mieux en mieux. Quand le seuil de piste est environ à cinquante mètres de distance et dix mètres plus bas, l'avion se met à battre des ailes de façon nerveuse et incontrôlable. J'ai beau contrer à toute vitesse (les quatre instructeurs avec qui j'ai volé m'ont tous assuré que je faisais plutôt partie des "bons"…), je n'arrive pas à amortir les battements furieux… Les copains sont maintenant tout près de moi, un peu plus bas. Je vais finir par toucher avec une aile et casser l'avion, c'est sûr !... Quant à moi ?... La décision est vite prise : remise de gaz pour remonter et essayer de comprendre ce qui se passe. J'envoie toute la sauce en tirant sur le manche et c'est là que les gros ennuis commencent vraiment… Les moteurs ne sont pas encore complètement rodés ni les réglages au top. Seul le moteur gauche réagit… L'avion se met en crabe aussitôt et embarque en roulis sur l'aile droite, j'envoie le manche à fond à gauche et je joue du palonnier en même temps que je sens l'avion décrocher et descendre sur l'aile comme un caillou, juste quand le moteur droit se met à rugir à son tour. L'avion raccroche brutalement l'air à cinq mètres du sol, accepte de redevenir contrôlable et je suis déjà en train de remonter. Ouf !!!
Je n'ai rien compris, mais je sais que je suis passé près de "la vérité" et encore en vie dans mon… "cercueil " en dural…
En vol, l'avion réagit normalement. Je sais qu'il est nerveux, mais tout de même !... Que s'est-il passé ?... Je ne vois pas…
Je recommence donc l'opération d'approche et le même scénario se reproduit : avion subitement incontrôlable, réponse moteur d'un seul côté, décrochage dissymétrique, réveil du moteur droit et raccrochage de justesse avant de tout fracasser et remontée… Cette fois, j'ai la sueur qui me coule dans le dos et me demande sérieusement comment tout ça va finir.
Je cogite à toute vitesse. Puisque l'avion vole bien en palier et avant les dernières dizaines de mètres qui me séparent de l'entrée de piste, c'est qu'un phénomène extérieur agit sur lui. À la réflexion, il ne peut s'agir que la "dégueulante" créée par la forêt proche et bien connue de tous à cet endroit, quand le vent a une composante nord. Avec un avion plus lourd, ces rouleaux turbulents se contrôlent et se traversent sans problème pour un pilote aguerri qui ne les remarque même plus. Mais là, avec sa Formule 1 nerveuse comme un pur sang, le pilote commence à se sentir pâle. C'est clair : si je recommence, j'aurai de nouveau une savonnette à piloter dans une baignoire mouillée, mais l'arrêt final aura laissé plus de traces... Je décide donc de me poser dans le sens inverse avec le vent dans les fesses, ce qui n'est pas DU TOUT recommandé en temps normal et encore bien moins quand on n'a que le pifomètre pour apprécier la vitesse de l'avion et celle de l'air qui vous pousse ! Vitesse que vous devez évidemment rajouter pour que tout tienne en l'air jusqu'au bout…
Je fais donc mon approche sur la piste 09 (vers l'azimut 90) dont l'environnement est dégagé au nord. J'arrive à l'altitude critique. Rien ne se passe… Je continue à descendre doucement au jugé et m'attends maladivement à voir le phénomène réapparaître. Pourtant, l'avion glisse doucement jusqu'au sol et je le pose comme une fleur. Je freine et les copains accourent. Je coupe les moteurs et ouvre la verrière.
Daniel (de dix ans mon aîné) est au-dessus de moi et me lance avec un grand sourire :
"Ça va ? Vieux ?"
Je réponds instinctivement :
"Je crois que j'ai vu la faucheuse de près."
Tout le monde se marre sauf moi… Connerie d'orgueil !
Retour à l'atelier, démontage du circuit d'anémomètre et découverte d'un grain de soudure à l'intérieur d'un T de connexion qui l'obstruait partiellement et avait été la cause de mes premiers soucis.
Je ne peux m'empêcher de narrer en détail ma mésaventure à Michel Colomban. Réponse partielle de ce dernier :
"Peaufinez rodages et réglages. Au vu de ce que vous m'avez décrit, vous êtes certainement un bon pilote pour vous en être sorti…"
Re-frissons rétrospectifs…
Néanmoins, je suis traumatisé par l'aventure. C'est Daniel qui finira les heures nécessaires à la certification de l'avion et qui parachèvera tous les réglages en s'amusant comme un fou. L'avion obtient tous ses papiers, vole et réagit à merveille, mais ma vie à venir et ma jeune famille valent mieux que cet engin que je me décide à vendre. Et puis, voler tout seul puisque les deux amis ont vendu leurs avions…
Je mets une annonce dans une revue d'aviation.
Un pharmacien de Troyes, plein aux as, vient l'essayer, est séduit et me l'achète en chipotant le prix. Je calcule que j'ai travaillé à 20 F. de l'heure… Mais tant pis. Cela paiera la facture de la maçonnerie de la maison que je veux construire. L'affaire est conclue et mon avion part quelques jours plus tard dans sa remorque, vers les terres troyennes.
Un dimanche matin, Daniel m'appelle :
"Salut, vieux ! Attends-toi à être contacté par la Police de l'air. Ton avion a été revendu par le pharmacien et le nouveau propriétaire s'est tué avec…"
Gros flottement…
Je n'ai pas été contacté et n'ai pas su si mon pharmacien avait cherché à faire une plus-value après son chipotage d'achat.
Je n'ai pas su non plus comment entrer en contact avec la famille du mort, de peur d'être maladroit. Le jeune père de famille était quelqu'un de très calme avec qui Daniel avait sympathisé entre temps (le "clan" des pilotes de Cri-Cri était assez soudé).
Les témoins de l'accident l'ont vu voler normalement à moyenne altitude, puis l'avion s'est incliné lentement sur l'aile droite et s'est dirigé ainsi jusqu'au sol. Malaise probable ?...
L'épave a été scrutée par le Bureau Enquêtes et Accidents de l'Aviation Civile, comme pour tout accident aérien. Tout était "normal".
L'avion et son constructeur furent mis hors de cause. Quelques temps plus tard, j'arrêtai définitivement l'aviation légère. Mon nouveau statut ne me permettait plus, moralement, de laisser trop d'argent dans ce plaisir de luxe.
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Mon Cri-Cri, photographié à Reims.
Un tableau de bord d'un autre Cri-Cri. Vous noterez le réservoir qui sert aussi de repose-jambes pour le pilote.
Radionavigation : prudence !!!
Dans le récit « Brevet » situé plus haut, j’ai insisté sur le caractère particulièrement sûr d’une montre et d’une carte pour naviguer, à cause de leur fiabilité.
Mais ce mode de navigation est assez contraignant car il nécessite une attention soutenue et de nombreux points de reports sans cesse recalculés pour le timing. Il faut aussi impérativement vérifier que le décor du dessous correspond à celui qui figure sur le trait qu'on a tracé sur la carte et réagir rapidement dans le cas contraire qui signifie qu’on s’est « perdu » !
Bien sûr, les avions de voyage de l'aéro-club possédaient déjà des outils de radionavigation (ADF et VOR, les GPS n’existaient pas encore) permettant de s’affranchir d’une carte et d’une montre. Mais ces instruments devaient être considérés exclusivement comme des aides à la navigation et surtout pas le moyen principal de voyager. Une navigation aux instruments aurait exigé que chacun d’eux soit dupliqué sur le tableau de bord et que le pilote soit formé en conséquence (IFR pour voler aux instruments).
Un élève-pilote, qui effectuait une navigation solo relativement longue (on devait en effectuer trois avant de passer le brevet), avait dû décider que montre et carte étaient bien pénibles à utiliser, vu ce qui se passa…
Parti pour un vol Auxerre, Nevers et retour, il contactait Éric, l’instructeur resté au terrain, lors de chaque escale. Ce chef-pilote avait déjà trouvé étrange que pour le trajet Auxerre – Nevers, le pilote avait mis étrangement longtemps.
Mais plus d’une demi-heure après le décollage de Nevers, le pilote ne s’était pas annoncé à l’arrivée alors que c’est le temps approximatif du trajet avec l’avion utilisé.
Un quart d’heure plus tard, Éric l’appelle à la radio.
« Michel, ça va ? Tu es où ?...
— Je suis entre Nevers et chez nous, je rentre. »
Pourtant, dix minutes plus tard, toujours pas d’oiseau en approche… Le chef-pilote rappelle :
« Michel, tu es sûr que tout va bien ?
— Oui oui !… Ne t’inquiète pas, Je rentre… »
Cette fois, la voix est hachée, signe d’une mauvaise ou trop longue liaison radio. Il est désormais clair que quelque chose d’anormal est en train de se passer. Daniel, un ami, saute dans un avion et décolle, dans le but de prendre de la hauteur pour tenter de mieux communiquer avec Michel. Quand il est arrivé à une bonne altitude, il n’arrive pas à le joindre mais capte le dialogue entre le pilote d’un avion long-courrier et notre apprenti. Daniel ne peut percevoir que les propos du pilote de ligne qui est bien plus haut et diffuse largement mieux. Le professionnel demande à Michel ce qu’il voit sur ses instruments… puis ce qu’il lui reste en autonomie de carburant… et enfin la terrible annonce tombe :
« Vous vous êtes visiblement perdu. Vu ce qu’il vous reste en carburant et comme la nuit commence à tomber, il vous faut envisager immédiatement un atterrissage de campagne. »
Daniel atterrit et rejoint le chef-pilote, puis le met au courant. Chacun est blême…
La nuit tombe, sans nouvelle. Les heures passent, angoissantes… À vingt-trois heures, le téléphone sonne. Éric se précipite et décroche.
« Bonsoir, gendarmerie nationale. L’avion F-GDEJ fait bien partie de votre flotte ?
— Oui…
— Rassurez-vous, tout va bien. Le pilote est sauf et l’avion n’est pas cassé.
— Merci ! Mais d’où m’appelez-vous ?
— D’un petit terrain désaffecté de vol-à-voile, au nord de Montpellier. Je vous passe votre pilote…
— Allo, Éric ? Je me suis un peu perdu, mais tout va bien. Demain matin, je fais le plein et je rentre !
— NON !!! Tu ne bouges surtout pas et on descendra te chercher ! »
Quand Michel donnera enfin ses explications, tout deviendra clair. Au lieu de suivre sa nav avec sa carte et sa montre, il avait décidé de se servir exclusivement du VOR ATN pour revenir de Nevers. Il avait affiché la bonne fréquence et l’aiguille de l’instrument était demeurée bien verticale comme elle doit l’être quand on suit la bonne direction. Sauf que dans la petite fenêtre de l’instrument où s’affiche « to » quand on se dirige vers la balise, ou « from » quand on s’en éloigne, il y avait « off ». L’instrument ne captait rien depuis le début…
Michel avait volé à près de 90° de la bonne route, avait survolé la chaîne des Puits sans s’étonner, et la durée extrêmement longue du trajet ne l’avait alerté non plus. S’il lui était resté assez d’éclairage solaire, dix minutes plus tard il attaquait la traversée de la Méditerranée…
À l’époque, le « brevet de base » (brevet avec beaucoup de restrictions de vols) venait d’apparaître. Le pilote inconscient fut immédiatement orienté vers cette voie.
(Ce récit réel m’a été rapporté et Michel n’est pas le vrai prénom que j'ai volontairement changé.)
Méfiez-vous des êtres discrets !
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Devant le clubhouse de l'aéroclub que je fréquentais, existe une jolie terrasse ombragée, annexe du bar. En été, elle est souvent fréquentée, car agréable et ouverte à tous, pilotes ou simples visiteurs du débit de boisson.
Cet été là, et chaque matin, un être bonhomme et très discret venait prendre son café en observant les avions, après avoir laissé sa voiture immatriculée en Suisse sur le parking.
Un de mes amis (aimant nettement plus discuter que moi) avait remarqué aussi ce monsieur effacé, mais souriant et toujours poli. Au vu de son assiduité, il ne pouvait qu’être envieux de ces pilotes veinards qu'il voyait autour de lui et pouvaient décider d’aller faire un tour dans les cieux, dès que l’envie les en prenait…
Un matin, cet ami (sans doute prêt à proposer enfin la réalisation du rêve de cet homme, à travers une balade) l’aborde :
« À vous voir, fidèle ici chaque matin, on devine que vous aimez les avions ?
— Oui, effectivement, je les aime bien !
— Et ça vous arrive de voler un petit peu ?
— Oui… ça m’arrive un petit peu…
— Ah ! Et on vous a fait faire vos baptêmes de l'air sur quels types d'avions ? »
Un plus large sourire s’affiche sur le visage du visiteur "envieux", alors qu'il répond modestement, avec son accent délicieusement traînant :
« Je vole essentiellement sur Mirage III. Je suis pilote de chasse de réserve, dans l’armée suisse… »
J’ai piloté un hélico !
C’est l’été, le matin, et je suis en vacances. C’est aussi l’époque où nous construisons nos Cri-Cri et je suis en train de travailler sur eux, dans un des ateliers de l’aéroclub.
Un bruit d’hélico se fait entendre, au loin d’abord, puis il grandit. L'oiseau est en approche. Je sors pour l’observer et bénéficier du spectacle qui est relativement rare ici avec ce genre d’engin. Il s’agit d’une Alouette II, visiblement militaire par sa couleur, qui vient se poser près du parking réservé aux avions. Le pilote stoppe sa turbine, il sort de l’appareil avec son mécanicien, puis ils viennent me dire bonjour avant de se diriger vers le club-house. Je retourne travailler.
Un peu plus tard, je décide de prendre une pause et un café. Je rejoins le bar de l'aéro-club où un des membres d’équipage explique qu’un ministre est en visite à la ville voisine et que leur mission est d'être toujours présents à proximité dans ces circonstances, au cas où il faille effectuer une évacuation d’urgence… qui n’arrive jamais. Ils vont ainsi rester près du téléphone à tour de rôle, dans un coin reculé qui ne peut leur offrir que la TV de l’aéro-club, son bar et des conversations avec les pilotes avion de passage.
Je retourne bosser, tout seul dans le silence de mon grand hangar… Une heure après, j’entends une des lourdes portes métalliques d’accès qui roule sur ses galets. Je relève les yeux de la cellule sur laquelle je travaille et vois le pilote de l’hélico qui a appris ce qui se passait ici et est venu, en curieux. Je lui explique longuement la « philosophie » de nos engins qui l’intéresse énormément, comme tout pilote qui se respecte. Il m’écoute attentivement et ne fait pas semblant d’être passionné. Discussion entre amoureux de tout ce qui vole…
Après environ vingt minutes de « cours » magistral de ma part, il me demande :
« Dites, ça vous plairait de faire un tour d’hélico ?... »
J’en reste muet quelques secondes… Autant demander à un malade s’il veut la santé ! J’accepte aussitôt, d’autant plus que je n’ai jamais volé avec une voilure tournante.
Le pilote ressort, va récupérer le gérant du bar et nous nous dirigeons vers l’appareil. Il me met en place gauche et Serge est relégué derrière. Il explique :
« Bien sûr, ce que je fais est interdit. Mais si nous nous crashons, personne ne me demandera des comptes ! ». Je me doute du pourquoi, mais m’en fiche bien !
Un vent assez fort et en rafales souffle ce jour-là, et je songe que nous pourrions bien être secoués alors que la turbine siffle de plus en plus fort et que la vitesse des pales s’accélère au-dessus de nous.
Bientôt, la bonne vitesse de rotation est atteinte et le pilote décolle. À quelques mètres de hauteur seulement, il bascule l’appareil vers l’avant et j’ai brusquement le sol devant les yeux alors que nous nous mettons à filer à l’horizontale et en légère montée. Positions de vol et sensations totalement inédites pour un pilote-avion…
Quelques minutes après, nous sommes à plat et volons tranquillement à deux cents mètres du sol. Je réalise que le vent craint initialement se fait d’une discrétion totale alors que nous aurions été passablement remués dans un avion. Le pilote me dit alors :
« Puisque vous êtes pilote aussi, prenez le manche ?... »
Je sais qu’un hélico se mène en bougeant le manche à balai dans un espace guère plus grand qu’une pièce de un franc et me concentre au maximum. J’ai aussi entendu dire, qu’en apprentissage, les pilotes d’hélico doivent poser leur avant-bras sur leur cuisse pour que leur main bouge un minimum sur le manche à balai. Je les imite… Tout va bien en palier. Puis, je tente un virage. Je pousse le manche à gauche de deux ou trois millimètres sans rencontrer la moindre résistance (encore une sensation inédite pour un pilote avion) alors que, sans aucune inertie et en une fraction de seconde, l’hélico s’incline à gauche d’environ 30° ! Je rends prudemment le manche au pilote, le vol continue quelques minutes et nous rentrons à l’aéro-club.
J’ai « piloté » un hélico et suis le roi du monde !
En soirée, le téléphone du bar sonne. Quelqu’un demande à parler au pilote qui prend l’appareil. L'échange est bref :
« Bonsoir mon capitaine… Merci, nous rentrons. »
La mission est terminée, l’équipage nous dit au-revoir et redécolle.
Une journée magique s’achève pour moi.
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Une "Alouette II" de l'ALAT (Aviation Légère de l'Armée de terre), strictement identique à "la mienne".
Faites toujours le plein avant de décoller, même pour un vol local !
Un dimanche après-midi où j’en ai marre de taper sur nos bouts de tôles de Cri-Cri, je propose à Daniel de l’emmener boire un café au bar de l’aéro-club d’Autun, situé à moins de quinze minutes de vol. Il est d’accord pour cette petite virée aérienne qui nous détendra.
Je monte sur l’aile d’un DR 400 au parking et bascule l’interrupteur général. La jauge à carburant indique alors quatre-vingt litres sur les cent-dix de capacité totale. C’est plus que parfait.
Je vais vérifier au club-house que l’avion n’est pas réservé dans l’heure qui suit, récupère ses papiers et sa clé de contact. J’effectue la visite prévol, m’installe aux commandes et nous décollons.
La virée se passe sans histoire, jusqu’au retour au parking d’origine. Avant que je ne coupe l’alimentation électrique générale, l’indication de la jauge à carburant m’interpelle. Elle affiche toujours ses quatre-vingt litres. Même avec ce vol assez bref, elle aurait dû un peu baisser…
J’en parle à Daniel et nous décidons d’emmener l’appareil à la pompe pour faire le plein et en en avoir le cœur net.
La pompe débite, débite… cent litres de carburant ! La jauge est H.S. et la panne sèche était proche. Quand au prochain pilote qui aurait emprunté l'avion et fait confiance à sa jauge, il était assuré de subir une panne au décollage, les dix derniers litres du réservoir n'étant pas utilisables en montée.
J’en fais part au mécanicien qui bloque l'avion, puis au chef-pilote. Ce dernier décidera alors d’imposer un plein systématique avant chaque vol, quoi qu’indique la jauge.
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Triste histoire…
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J’ai la cinquantaine et n’ai pas touché un manche à balai depuis plus de 20 ans. On m’a dit que c’était comme pour le vélo et que cela ne se perdait pas…
Je fais un burn-out sévère dans mon travail et la médecine psychiatrique me met sur la touche pour plusieurs années. Mon couple explose et je me retrouve seul. Pour me forcer à avancer, je décide de passer mon brevet ULM, formule avion. Il n’y a aucune structure proche (les aéroclubs avions appréciant peu la concurrence) et je dois me rendre à Chalon, distant de 50 km.
Je rencontre Patrice, mon moniteur et propriétaire de l’ULM école. Je l’avise que je suis un « ancien » pilote avion et ne lui cache rien de ma situation psychique qui ne l’émeut pas. Sans doute pense-t-il qu’il jaugera de ce qui est possible ou pas dès les premières leçons… J’apprends que je n’aurai pas à passer le brevet théorique car celui de l’avion est valable à vie, puis Patrice m’emmène découvrir la magnifique machine tout aluminium sur laquelle j’évoluerai. Il s’agit d’un STORM 300, propulsé par une hélice tripale entrainée par un moteur Rotax de 100 CV.
J’en profite pour décrire un parallèle d’époque entre la pratique de l’ULM et celle de l’avion léger.
Pour voler en avion, il faut avoir son brevet de pilote avion et effectuer une visite annuelle chez un médecin agréé par la Fédération Nationale Aéronautique qui vérifiera que vous possédez presque une vue d’aigle et une santé digne d’un cosmonaute. Chaque année, à la date anniversaire de votre licence, il faudra que vous repassiez cette visite médicale, plus un test en vol avec navigation sous le contrôle d’un instructeur, et que vous ayez effectué un minimum d’heures dans les six mois précédents. Si vous souhaitez utiliser un avion à train rentrant, il vous faudra passer une qualification « B » pour être reconnu apte à utiliser un simple inverseur qui fait rentrer ou sortir le train. Même punition si vous souhaitez utiliser un avion avec hélice à pas variable. Quant à l’avion, il doit subir x contrôles toutes les 50 heures, un démontage complet régulièrement, changer son hélice toutes les 1000 heures et son moteur toutes les 2000 heures, même s’il tourne comme une horloge. Opérations à effectuer dans un atelier homologué VERITAS avec les tarifs correspondants, bien sûr.
Pour voler en ULM (avec ou sans train rentrant ou hélice à pas variable), il faut avoir son brevet ULM. Et pour que l’ULM soit en état de voler, c’est à son utilisateur de l’entretenir lui-même, sans contrôle de qui que ce soit. Point final.
De plus, un ULM formule avion performant peut vous propulser facilement à 300 km/h quand beaucoup d’avions d’aéroclub ont du mal à dépasser les 230 km/h.
On mesure la différence entre les deux « mondes ». Dans l’un vous êtes un irresponsable à contrôler et surveiller comme du lait sur le feu et, dans l’autre, vous êtes considéré comme une personne responsable.
La seule contrainte en ULM est de respecter les règles (nombreuses et assez complexes) de l’espace aérien, tout comme en avion.
Je prends ma première leçon. C’est Patrice qui guide l’ULM vers la piste, l’aligne et met les gaz. Je suis subjugué par l’accélération qui me colle au fond du siège. 100 Cv pour seulement 450 kg tout compris changent la donne par rapport à un D.R.400 de la même puissance, mais nettement plus lourd, qui possède une accélération digne d’un diesel des années 60. Ce qui me surprend aussi est qu’il faut réduire les gaz dès le décollage effectué pour ne pas passer en surrégime, comme sur un gros porteur à réaction. En avion léger, c’est plein pot tout le temps de la montée.
Patrice me confie les commandes. Premier désagrément, l’accélérateur est en position centrale dans l’appareil, ce qui oblige à tenir le manche à balai de la main gauche. Heureusement, je me rends très vite compte que ce n’est finalement pas un souci. Nous effectuons une série de tours de piste. Le plus difficile pour moi tient dans la gestion de l’accélérateur qu’il faut apprivoiser pour être précis en phases de décollage et atterrissage. Mes atterrissages sont de qualité moyenne. Tout n’a effectivement pas été perdu en vingt ans. Je découvre aussi l’extrême sensibilité au vent d’un ULM formule avion. Quand on pose un avion et que sa vitesse au sol est descendue sous 80 km/h, il ne peut quasi plus rien se passer d’inattendu et on peut se détendre. Avec un ULM, il faut rester très vigilant vis-à-vis de l’engin, tant que la vitesse n’est pas descendue sous 50 km/h.
L’autre désagrément qui apparait vite réside dans l’orientation nord-sud de la piste de 1800 m, car le vent dominant, et très souvent présent, souffle de l’ouest et est donc plein travers. En avion, je n’ai jamais aimé le vent de travers car je ne maîtrisais pas assez à mon goût la technique d’atterrissage dans ces conditions. J’évitais donc de voler par vent de travers conséquent. Mais à Chalon, je n’ai pas le choix et dois m’y mettre. En fait, c’est assez vite assimilé. L’approche finale de la piste se fait en crabe pour ne pas être emporté par le vent. Toujours en crabe, on « arrondit » l’avion quelques secondes avant de le poser et on le remet dans l’axe de la piste avec les palonniers avant de toucher le sol pour ne pas se faire jeter au fossé. MAIS ! Remettre l’avion dans l’axe fait qu’une des deux ailes va se déplacer dans l’air nettement plus vite que l’autre, donc devenir plus porteuse, donc soulever l’avion d’un côté. Il faut donc compenser cet effet grâce aux ailerons, en « envoyant du manche » du côté opposé aux palonniers, à la juste dose. C’est là, la seule difficulté. Mais en quelques atterrissages, je saurai doser les gestes. Poser l’ULM par vent de travers devient même amusant. Pourquoi ne l’ai-je pas appris plus tôt ?…
À la deuxième leçon, et après avoir lancé le moteur, Patrice me demande d’effectuer les échanges radio avec la tour de contrôle. Les procédures n’ont pas changé depuis mon « époque » avion. Je sais que rigueur et obéissance aux consignes des contrôleurs sont l'alpha et l'omega d'une bonne entente avec eux et tout se passe bien. Puis, Patrice me demande de faire rouler le STORM jusqu’à la piste d’envol et me prévient :
« La roue avant n’est pas conjuguée avec les palonniers ! Donc ne t’affole pas si tu occupes toute la largeur du taxiway les premières fois. »
Je mets un peu de gaz, vise la bande blanche médiane et roule sans la quitter d’un centimètre. Patrice me regarde presque comme si j’étais un extraterrestre avant de réaliser et s’exclamer :
« Ah oui, c’est vrai ! Tu as volé sur train classique ! » (voir mon récit « Lâcher »)
Quand la quatrième leçon se termine, Patrice m’annonce :
« Tu peux continuer à t’entraîner seul en tours de piste. Moi, je descends ! »
Bien sûr, je suis très heureux, même si je ne ressens pas l’énorme émotion de mon lâcher avion.
D’autres leçons s’enchaînent. La marotte de Patrice, c’est de crier « Panne moteur ! » et de couper les gaz, le plus souvent juste après le décollage. Il faut immédiatement gérer l’atterrissage, alors qu’on ne s’y attendait pas. Un jour, il me fera le coup six fois de suite sur la totalité des 1800 m de la piste. Je ne pensais pas qu’il oserait le dernier car l’ILS installé en bout de piste arrivait vite. Quand je redécollai la dernière fois, l’ULM frôla les moustaches des antennes…
J’adore ce genre d’exercice où il faut plus piloter « aux fesses » (d’instinct) que surveiller vitesses et instruments et je m’en sors bien (en toute modestie. Si, si, si !).
Parfois, « la panne » intervient en branche vent arrière et il faut bien sûr immédiatement réagir en la quittant pour aller s’aligner sur la piste, sans oublier de prévenir la tour de contrôle. Un jour, Patrice fait exprès de me jouer son tour habituel, alors que nous sommes dans une position et à une vitesse où plus grand-chose n’est possible sans remise de gaz. Il est tout heureux de m’annoncer :
« Cette fois-là, tu ne l’auras pas ! »
Et moi, passablement optimiste :
« Si, si… Je l’aurai ! »
J’économise ma perte d’altitude au maximum en n’effectuant aucun dérapage et sans imposer de trop grands virages. J’entends de nouveau :
« Tu ne l’auras pas… » (« Tra-là-là la lère » n’est pas ajouté, mais le ton y est.)
Je suis trop concentré pour répondre. La vitesse du Storm a énormément chuté et nous sommes proches du décrochage. Désormais à deux mètres du sol, je me rapproche lentement de la piste encore distante de trente mètres, par la tangente et bientôt au raz des pâquerettes. Dès que je suis au-dessus de la piste, je remets l’ULM dans l'axe et il touche aussitôt le sol. Je ne crois pas que nous aurions tenu en l'air une seconde de plus. Je suis hilare et lance :
« Alors, je ne l’ai pas eue ?… »
Et mon Patrice de répondre, peut-être un peu vexé :
« Mouais… C’était quand même limite cow-boy ! »
Bref, je m’amuse bien lors de ces entrainements qui précèdent les instants où j’entends :
« Ramène-moi sur le parking et va te balader tout seul… »
Là, je redécouvre à chaque fois le plaisir sublime d’être le seul maître d’un engin volant qui m’obéit au doigt et à l’œil, au-dessus de paysages magnifiques. L’engin est quasiment un prolongement de moi-même et je fais totalement corps avec lui (ce qui ne sera jamais le cas avec une moto gros cube, quelques années plus tard).
Patrice m’aime bien et nous sommes quasiment devenus amis. Nous échangeons sur beaucoup de sujets. Venir ici a vraiment changé mon état psychique. Mes contacts avec les contrôleurs sont toujours excellents aussi. Il m’en reste d’ailleurs un souvenir particulier :
Je reviens seul d’une promenade avec le STORM et suis en branche vent-arrière. Je vois un D.R. 400 en attente au point d’arrêt qui limite le taxiway, avant la piste. Il demande, à la tour, l’autorisation de s’aligner et de décoller, ce qui lui est refusé au prétexte que je vais bientôt passer en finale puis me poser. Comme il faudra bien trois minutes avant que je passe sur la piste devant l’avion, j’annonce à la radio :
« Si le D.R.400 est prêt à décoller, je veux bien prolonger ma branche vent-arrière… »
Pas de réponse de l’avion. Un peu énervé, le contrôleur lance :
« Vous avez entendu l’ULM, D.R.400 ?! »
Toujours aucun mot en retour, alors que l’avion va s’aligner pour décoller. Le contrôleur, plus furax, lui lance à la radio :
« Et merci pour l’ULM !!! »
Moi, je me marre (micro coupé, quand même) !
Au retour au parking, je clos le trafic radio avec la tour et termine en remerciant le contrôle de son assistance, comme il est coutumier de le faire. Mais son retour ne l’est pas :
« Avec vous, ce fut un plaisir ! »
Je continue de voler et « d’empiler » mes heures, souvent seul dans l’ULM. Il me reste environ deux heures à faire, plus quelques navigations, et le brevet ULM sera en poche. Nous sommes le jeudi 12 juillet 2007 et c'est l'après-midi. Je viens de laisser l’ULM au parking et vais rentrer à la maison. Un autre pilote, chef de famille, va bientôt arriver et s’en servir à son tour. Il ignore qu’il ne lui reste que quelques minutes à vivre…
Il va s’envoler et aller se promener du côté de Tournus. Tandis qu’il évolue tranquillement au niveau d’une colline, l’équipage d’un Mirage 2000 de la base de Luxeuil s’entraîne à 800 km/h à sauter les mêmes collines. À la seconde où le STORM devient visible à l’équipage militaire, il est déjà trop tard. Le Mirage passe sous l’ULM mais le sommet de sa dérive lui tranche une aile et l’envoie au sol. Paniqués, les aviateurs militaires vont se poser sur la base aérienne de Dijon. Le Mirage n’a perdu "que" la moitié de sa dérive, mais a tué un pilote civil qui n’avait rien demandé et était à deux kilomètres du couloir réservé (de plus non actif ce jour-là) à l'entrainement de l'avion de chasse.
J’apprends la nouvelle le lendemain, par la Presse. J’appelle Patrice sur son portable. Il est au terrain d’aviation, passablement affecté. Je lui dis que j’arrive. Quand je suis rendu sur place, un autre pilote a montré la même empathie que moi. Nous sommes tous effarés et sous le choc. Pourtant, c’est Patrice, une force de caractère, qui cherche à nous remonter le moral et part à la recherche de boissons pour les trois. Nous buvons silencieusement, attablés dehors. Patrice pousse un long soupir, nous remercie de notre soutien et déclare :
« Je vais racheter un ULM. Si je ne recommence pas immédiatement, ce sera terminé pour moi… »
Puis il me tape sur la cuisse et m’annonce, dans un demi-sourire :
« T’inquiète pas ! Ça va aller… »
Je rentre. Nous échangerons assez souvent des SMS pour prendre mutuellement des nouvelles. Mais deux ans plus tard, le nouvel ULM n’est toujours pas là. Je décide de me tourner vers la moto et de passer mon permis « gros-cube ». Une aventure tout aussi passionnante !
Un ULM "STORM 300" et le tableau de bord correspondant.
Le jour où je fus pilote de ligne... durant un quart d'heure.
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Un homme s'est présenté à l'aéroclub pour demander à être conduit à Toulouse en avion privé. Éric, le pilote de ligne Air-france qui fait office de chef-pilote en attendant d'être appelé par la grande compagnie, me demande si je veux bien être son copilote pour une moitié du voyage et le pilote pour l'autre moitié. Comment refuser une telle proposition ?
Je connais bien Éric qui fut mon formateur de pilote privé. Le voyage permettra aussi de m'initier à l'Aiglon, l'avion star de l'aéroclub.​
Comme nous devrons être arrivés tôt à Toulouse et qu'il y a environ deux heures de vol. Nous nous donnons rendez-vous à l'aéroclub pour six heures. Chacun est à l'heure. Seules la lune et les étoiles éclairent le site. L'air est parfaitement calme et pur, la visibilité sera parfaite.
Nous sortons l'Aiglon (avion 5 places, très bien équipé en radionavigation et disposant d'un pilote-automatique) du hangar, faisons le plein des réservoirs ainsi que la visite prévol.
Pendant que nous préparons le vol et appelons la météo, notre "client" attend sagement dans un coin, sa petite sacoche à la main.
Quand tout est prêt, le jour s'est levé. Mais quand je regarde à l'extérieur du clubhouse, je pâlis. Un brouillard a tout envahi. J'interroge Éric du regard. En réponse, j'ai droit à un sourire. Visiblement, la mission continue.
Le passager, lui, ne se pose aucune question. Avantage d'être totalement novice.
Nous sortons tous du club-house et rejoignons l'avion. Éric me suggère, un autre sourire en coin :
- Il vaut peut-être mieux que ce soit moi qui fasse le décollage ?
La question se passe de réponse puisque ce pilote est un professionnel qualifié IFR. Nous nous installons dans l'avion. Nous démarrons, effectuons la checklist, puis nous commençons à rouler, guidés par les lignes du taxiway.
Aligné sur la piste et prêts à mettre plein gaz, je n'en mène pas spécialement large. Je demande, en "parfait" pilote qui imagine toujours le pire :
- Et si jamais il y a une vache sur la piste ?
La réponse se veut sans appel :
- Non, il n'y a pas de vache.
L'avion est lancé et accélère. À la bonne vitesse, le pilote le fait décoller et effectue la montée aux instruments. Il n'y avait effectivement pas de vache.
Nous arrivons très vite au-dessus de la couche et découvrons un soleil magnifique. Le cap est mis sur Toulouse pour un voyage sans histoire.
Nous livrons notre "client" sur le parking de l'aéroport. L'heure de décollage retour est prévue pour midi. Éric me propose une ballade en ville qu'il connait bien. Nous prenons un bus, visitons un peu Toulouse et revenons vers onze heures à l'aéroport. Nous finissons de refaire la visite prévol quand Éric lance :
- Eh ! C'est un copain de ma promo qui est vers l'avion, là-bas !
Nous rejoignons cet autre jeune pilote de ligne en attende de poste chez Air-France. Les présentations sont à peine faite qu'Éric lance à son ami :
- T'as vu ?...
Ce qu'il faut voir, c'est un Airbus d'Air-Algérie qui stationne un peu plus loin et où s'affairent des mécanos en train de changer une roue du train principal. On distingue les passagers restés à l'intérieur et une passerelle amovible a été installée à la porte de l'avion. En bas, un steward algérien est en poste. Sans hésiter les deux amis se dirigent vers cet homme. Je les suis.
Arrivés face au steward, Éric prend la parole :
- Bonjour Monsieur. Nous sommes trois pilotes de ligne Air-France en attente de postes. Pouvons-nous monter voir le poste de pilotage ?
L'homme nous accorde ce privilège immédiatement, avec un grand sourire. Nous montons et j'entre pour la première (et la dernière fois) dans le poste de pilotage d'un avion de ligne avec mes deux "collègues". Éric fait de nouveau les présentations au commandant de bord et à son copilote, et des discussions s'engagent sur l'avion. Prudemment, je me tais et passe sûrement pour un grand timide.
Dix minutes plus tard, nous redescendons par la passerelle, saluons le steward er regagnons le tarmac. J'aurai été "pilote de ligne" durant un quart d'heure.
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"Aiglon" Robin R-1180 T
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