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Marie et la louve

 

 

 

 

Ce texte, soumis à concours, devait respecter un formatage précis et une liste de mots à insérer. Il fut adapté et mis en musique par Véronique Sauger et sa première diffusion eut lieu sur France-Musique, du 1er au 5 décembre 2008. 

1er épisode

2ème épisode

3ème épisode

4ème épisode

5ème épisode

 

Texte original :

 

Marie venait d'aller au lit bien que la nuit fût encore loin. À six ans, on se couche tôt…

Heureuse et rêveuse, elle n'écoutait que d'une oreille l'histoire lue par sa maman. Demain, c'étaient enfin les vacances et elle irait chez sa grand-mère, à la campagne !…

Le lendemain fut très vite là et le voyage s'effectua sans même qu'elle s'en rende compte…

Sitôt arrivée puis accueillie par son aïeule, la fillette courut dire bonjour aux lapins et aux poules de la fermette. Elle adorait n'importe quelles bêtes et les chiens par-dessus tout. Hélas, sa mamy avait perdu son vieux Bourvil l'année passée et les parents de l'enfant avaient toujours décrété persona non grata ce genre d'animal dans leur appartement de ville. Marie vivait donc son amour canin par procuration, grâce à des films, des livres et un poster géant de Mabrouk, placardé dans sa chambre. Elle aimait aussi cette nature sauvage, immense terrain de jeu qui lui manquait tant depuis un mois, comme l'étang et la forêt situés juste derrière la grande bâtisse de sa grand-mère.

Littéralement attirée comme un aimant par les arbres majestueux, elle décida alors de rejoindre les frondaisons, sautillant d'un pied sur l'autre en chantant sa comptine :

​

     « Je vais aller dans le grand bois

     Pour y dénicher quelques noix.

     Et si jamais y'en avait pas,

     J'irai voir le vieux père François.

     Je lui dirai : vends moi des noix !

     Et si jamais il ne veut pas,

     Je lui chipe'rai son chocolat ! »

​

Elle lança, au passage, un coucou joyeux au cygne fier qui l'ignora. Roi fainéant, il glissait lentement au milieu de l'étang. Marie haussa les épaules pour tout reproche et franchit l'orée de la forêt.

Elle gambadait toujours, sautillant d'un pas léger et s'enfonçant davantage dans les bois, quand un grondement sinistre la stoppa net. Une louve énorme venait de surgir devant elle, à quelques mètres seulement. Paradoxalement, Marie fut plus chagrine de l'attitude de la bête que de sa rencontre… D'un ton de reproche, elle lui demanda :

« Eh bien, vilaine ! Qu'as-tu à grogner comme cela ? »

Le fauve, complètement ahuri, inclina la tête sur le côté.

« Alors, ça y est ? T'as fini de faire ta méchante ? »

La louve reprit rapidement son air menaçant. Pourtant, Marie ne se démonta pas.

« Décidément, tu y tiens ? Ce n'est pas un chien qui va m'effrayer, tu sais ! »

Cette fois, la bête faillit s'étouffer de rage. C'en était trop !

« Moi ? Un chien ? Pourquoi pas un lapin tant que tu y es ?

— N'exagère pas ! Tu es un chien-loup si tu veux mais tu ne me fais pas peur. Point barre !

— Un chien-loup ! Pfff !!! Ces imposteurs qui volent une partie de notre nom ? Moi, je suis un loup ! Pas un chien, ni un chien-loup ! Et pour être précise, je suis même une louve alpha ! » envoya la bête d'un air supérieur.

Marie éclata de rire.

« Tu es marrante, toi ! Pourquoi pas une lionne, tant que tu y es ?

— Tu veux que je te mange pour te le prouver ? »

Cette fois, l'enfant se tapa sur les cuisses.

« Mais arrête ! Je vais faire pipi dans ma culotte si tu continues !... »

L'animal en fut fort dépité…

« Pourquoi refuses-tu de me croire, à la fin ? » glapit-elle.

Marie haussa les épaules en redevenant sérieuse, tant la réponse était évidente.

« J'ai plein de livres avec des loups terribles dedans. Alors, excuse-moi, mais tu n'es pas prêt de les égaler… »

Le fauve était déconcerté.

« Ça alors ! Qu'ont-ils de plus que moi, tes loups ?

— Déjà, ils sont tous très, très, méchants ! Ensuite, j'en ai vu de plusieurs tailles, mais tous bien plus grands que toi ! Et ils ont une force… Wouahhhh ! »

La louve s'était assise sur son derrière, circonspecte.

« Une force wouahhh ? Et ça donne quoi, par exemple ?

— D'un souffle, ils peuvent balayer la maison des trois petits cochons !

— En effet… avoua l'animal, songeant avec envie à l'écurie en béton dont elle avait vainement fait le tour, plusieurs mois en arrière. Quoi d'autre ?

— Ils sont vêtus la plupart du temps, comme nous, les humains…

— Habillés ??? Quelle honte pour notre race ! »

Le fauve rumina.

« Tu disais qu'ils sont très méchants, tes loups… Ils attaquent les humains ?

— Ils essaient juste d'attraper les enfants. Mais ils sont bien trop bêtes !… Oh ! Je ne voulais pas te blesser ! Tu n'es sûrement pas comme ça ! »

L'autre s'énerva.

« Bon. Assieds-toi ; ton éducation a de sérieuses lacunes !

— Ce n'est pas vrai ! s'indigna Marie. À l'école, je suis première partout !

— Ça m'étonnerait beaucoup que tu sois première “en loups” ! »

L'enfant se renfrogna ; l'animal allait lui faire la leçon.

« Aucun loup normal et en liberté n'a jamais attaqué un être humain ! Sache déjà ça ! Et des louves ont souvent élevé des enfants abandonnés. Les plus célèbres furent Romus et Romulus, les fondateurs de Rome… Ça t'en bouche un coin ? Hein ?...

— Je n'en ai jamais entendu parler ! » bougonna la fillette.

Le fauve secoua la tête de désolation.

« Mais que t'apprennent-ils donc dans ton école ? »

Marie se devait de prendre sa revanche sur cette bête donneuse de leçons.

« Ils nous apprennent la bête du Gévaudan !

— Ah ! Une belle farce…

— Non ! C'est dans tous les livres d'histoire !

— Cette histoire se transmet aussi de mère en fille chez les loups. Ce soi-disant loup n'avait que deux pattes et même vos historiens le savent. Sinon, ils diraient “le loup du Gévaudan” au lieu de “la bête” ! Et tac !... »

Décidément, ce loup avait réponse à tout ! Mais Marie, têtue, aimait bien avoir le dernier mot.

« Mettons que tout ce que tu as dit soit vrai. Si tu n'es pas un loup méchant envers les humains, pourquoi m'as-tu barré le chemin en grognant quand on s'est rencontrées ?

 — Parce que je craignais que tu t'attaques à ce que j'ai de plus cher au monde. »

La fillette ne devina pas.

« Tu protèges un trésor dans ce bois enchanté ?

— Oui, le plus beaux des trésors. Mes trois petits… »

Marie trépigna.

« Oh ! Laisse-moi voir tes louveteaux ! S'il te plait !... »

Le fauve hésita un moment, puis accepta.

« Bien. Suis-moi sans faire de bruit. La meute n'apprécierait pas que je t'amène sur notre territoire. »

Elles s'enfoncèrent plus avant dans la forêt, là où même le vent n'osait s'aventurer. Enfin, au bout d'une demi-heure de course, le terrier fut devant elles.

« Nous y sommes, dit la louve.

— Je ne vois pas tes petits ? s'étonna Marie.

— Le terrier est masqué par un buisson. Ils sont au fond et ne mettent jamais le nez dehors sans moi. »

À quatre pattes, Marie s'approcha pour les distinguer, puis se retira vivement en se pinçant le nez.

« Hou-là-là ! Ça pue chez toi ! Tu ne laves jamais tes bébés ?

— Je les lèche plusieurs fois par jour, de la tête aux pieds !  lança la louve, indignée. Je vais les appeler. »

La bête émit alors un chant léger. De petits jappements joyeux lui répondirent avant que n'apparaissent de jolies boules de poils. Marie tapait dans ses mains.

« Mais calme-toi ! gronda le fauve. Tu cherches des ennuis ? La discrétion et les humains, ça fait vraiment deux ! »

Marie n'écoutait plus sa nouvelle amie. Elle prit les petits dans ses bras pour les couvrir de baisers. Peu habitués à ce genre de démonstrations, les louveteaux se débattirent en geignant plaintivement.

« Calmez-vous et cessez de me griffer les mains ! rit l'enfant. Je ne vais pas vous manger !

— Tu es le premier humain qu'ils rencontrent, expliqua la louve. Mais j'espère aussi le dernier…

— Pourquoi ? s'étonna Marie.

— Parce que tes semblables nous tuent par plaisir. Nous, c'est seulement pour manger ou nous protéger. »

Elles n'eurent pas le temps de discuter davantage. Une ombre gigantesque les rejoignit. Simultanément, un grognement féroce terrifia l'enfant. La louve s'aplatit et dit à Marie :

« Ne bouge pas ! C'est le père des petits…

— Que se passe-t-il ? Que fait ce petit d'homme avec nos enfants ? gronda le loup.

— Je vais t'expliquer, glapit la louve.

— Tu auras du mal ! tonna le mâle. »

Puis, s'adressant à Marie :

« As-tu des chasseurs dans ta famille ?

— Mon oncle David, répondit innocemment l'enfant.

— Elle va lui donner notre repaire. Il faut l'éliminer ! »

La louve bondit alors entre la fillette et l'énorme mâle. En une fraction de seconde, elle s'était métamorphosée en fauve redoutable, poils dressés et oreilles en arrière. Un grognement presque aussi grave que celui du loup sourdait de sa gueule aux babines retroussées sur des crocs puissants et acérés.

« Elle ne dira rien ! J'en suis garante. Si tu lui veux du mal, tu devras me tuer avant ! »

Le mâle ne s'attendait pas à cette réaction. N'ayant nulle envie de perdre sa femelle ou de se faire taillader les côtes, il se déroba en se drapant dans sa dignité.

« Alors, je te pardonne pour cette fois. Mais n'y reviens pas ! »

Et le loup alpha tourna les talons avant de s'en aller, nonchalamment.

Marie souffla de soulagement.

« Merci ! Quelle peur j'ai eue ! Il m'aurait vraiment attaquée ?

— Oui… Un loup se débrouille toujours pour ne pas entrer en contact avec un humain en l'évitant ou en l'attirant loin de la meute avant de le semer. Mais là, c'est toi qui est venue dans sa gueule… à cause de moi ! Je vais te raccompagner hors de la forêt. »

Et l'enfant suivit la louve qui trottinait. Sensibles à la poésie de ce cortège inédit, les autres animaux observaient le défilé, oubliant de se cacher.

La fillette interrogea la bête :

« Dis, si tu t'étais battue contre le loup, tu avais une chance de gagner ?

— Aucune ; il est bien plus fort que moi !

— Et tu m'aurais quand même défendue ?

— Oui ; j'étais responsable de toi. Tu aurais eu le temps de t'enfuir. »

Mourir pour protéger quelqu'un, Marie en avait entendu parler. Mais c'était la première fois qu'elle en avait frôlé la démonstration. Elle se tut, songeuse.

Rapidement, la forêt s'éclaircit ; la sortie devenait proche. C'est alors qu'une voix connue retentit :

« Stop, Marie ! Ne bouge surtout pas !

— Oncle David ! s'exclama la fillette, surprise. Que fais-tu ici ?

— Marie, je t'en supplie, ne fais plus aucun geste ! »

L'oncle, à trente mètres, roulait des yeux effarés. La casquette rouge fluorescent lui décorant la tête rendait son visage encore plus pâle. Avec des gestes infiniment lents, il était en train de relever quelque chose. Marie comprit enfin.

« Non ! Ne tire pas ! Cette louve est mon amie ! » cria la fillette en se jetant au cou de la bête.

L'oncle David déglutit avec peine et pâlit davantage.

« Écarte-toi. S'il s'est laissé approcher, ce loup est enragé. Je te promets qu'il ne souffrira pas…

— Non ! hurla Marie. C'est toi qui es enragé avec ta chasse ! Elle m'a montré ses petits et sauvé la vie ! Si tu la tues, je te tuerai aussi ! »

Complètement ébranlé par le discours et l'attitude étrange de sa nièce, David consentit à relever son fusil et la louve en profita aussitôt pour s'enfuir. Les nerfs de la fillette lâchèrent et elle s'effondra en sanglotant.

Elle sentit bientôt que son oncle la secouait doucement, mais en ouvrant les yeux, c'est sa mère qu'elle distingua du fond de son lit.

« Tu as encore fait un cauchemar, ma chérie ? Viens. On va se préparer pour aller chez Mamy. Mais… Tu as vu tes mains ? Où t'es-tu griffée comme ça ? »

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